La fougère

En automne, quand les flancs des collines et montagnes se drapaient de roux, venait le temps des fougères.

Au petit matin, musette du casse-croûte en bandoulière et faux sur l’épaule, nous nous rendions, à pied, à la fougeraie quelquefois distante de plusieurs kilomètres.

Quelques unes étaient privées, d’autres situées sur des terrains communaux de la commune ou des communes limitrophes. Pour celles-ci, il fallait s’acquitter d’une taxe communale proportionnelle au nombre de meules, appelées ici  "piles". Le garde-champêtre savait faire respecter la loi communale.

Si les surfaces plates étaient fauchées avec la faucheuse tirée par une paire de vaches ou de mulets, les parties pentues étaient fauchées à la faux. Les faux à fougère, moins longues, plus larges et plus épaisses que les faux à foin, étaient, à la maison, préalablement battues au marteau sur l’enclume.

Durant la fauche, de temps à autre, il fallait aiguiser la lame, à la pierre à faux rangée dans le coffin attaché à la ceinture. Selon les fougeraies, le sol était pierreux, herbeux, recouvert de mousse ou d’ajoncs. Dans les endroits humides, de jeunes plants d’aulnes se mélangeaient à la fougère. Quelquefois, elles étaient sillonnées de sentiers battus par le bétail, quelquefois, leur surface n’était que creux et bosses. Les fougeraies communales et celles privées d’Erretzü n’étaient pas clôturées et devaient rester ouvertes à la libre circulation du bétail.

Lorsque la fougeraie était limitrophe d’autres fougeraies non faites, il fallait retrouver les bornes frontières, pierres de 20 à 40 cm de haut plantées au sol et cachées sous les fougères et les ajoncs et faucher le plus droit possible d’une borne à l’autre.

Après 6 à 7 heures de travail, fourbus de fatigue, le retour à la maison était long et pénible s’il nécessitait une voire deux heures de marche.

Si le temps était de la partie, le lendemain même, même trajet mais avec râteaux et fourches et quelquefois piquets de fougère dans le chariot tiré par la paire de vaches.

Comme pour le foin, la fougère était râtelée et mise en andains. Un mât, piqué en bois d’environ 4 mètres de long, était solidement planté en terre dans un trou fait à la barre de fer.

Armé d’un râteau, une personne érigeait la meule, réceptionnant les fourchées de fougère qu’elle plaçait en colimaçon autour du piquet et qu’elle écrasait de tout son poids.

Les dernières fourchées étaient des « abastous », sortes de couronnes de fougères, de plus en plus petites, enfilées par l’extrémité épointée du piquet. Le sommet de la pile était coiffé d’une grosse motte de terre taillée d’un seul bloc, à la pioche espagnole. Debout sur le sommet de la meule tel un funambule, l’homme pressait le tout, de tout son poids et, tel un félin, bondissait au sol ou se laissait glisser le long de la meule, recevant les félicitations si le profil et la symétrie de la pile étaient irréprochables.

Si les fougères avaient été piétinées par le bétail et pour une meilleure conservation, il fallait préparer des « abastous » qui remplaçaient les fourchées de fougère données en vrac.

Dans une journée, 6 à 8 meules étaient ainsi érigées.

La chaleur suffocante, le manque d’ombre, le manque d’eau quelquefois, les ajoncs, le terrain accidenté rendaient ce travail difficile. Par contre, le passage des vols de palombes et de grues, dans des décors magnifiques, loin de la maison, le repas pris en plein air, au menu immuable - pipérade et jambon, fromage et pommes - enchantaient les enfants.

Meule de l'année Meule de l'année précédente

Le retour, au pas lent de l’attelage des vaches, tirant le chariot chargé de fougère, qui cahotait sur ces chemins creux et y frottait les haies qui les bordaient, se faisait dans la joie malgré la fatigue.

Selon le nombre et la surface des fougeraies, la densité et la taille de la fougère, chaque paysan faisait une quarantaine de piles.

A la fin de l’automne et en hiver, avec un ou deux attelages de vaches, il fallait aller chercher cette fougère qui était entreposée à l’étable et qui servait de litière.

Dès la fin août, les côtes, châtaigneraies et chênaies étaient nettoyées de toutes fougères et ronces.

Retour à la page d'accueil